Exhibition: monument du cinéma érotique

Un film imprévu

Nous sommes en 1975 et Paul Vecchiali est en plein tournage de son film Change pas de main. À la production, Jean-François Davy, plus connu en tant que réalisateur dans le petit cercle du cinéma érotique. Il assiste alors au casting de Change pas de main, où il fera la plus belle découverte de sa carrière: Claudine Beccarie.

” C’est en rencontrant Claudine Beccarie pour un casting pour ce film que j’ai trouvé le personnage tellement étonnant, tellement truculent, hors normes… Ayant sous le coude une équipe, j’ai dit à mon chef opérateur habituel avec qui j’avais fait Le Désir, Roger Fellous, qu’avec notre caméra 16mm, on devrait faire un reportage, un making-off comme on dit aujourd’hui, sur le film de Vecchiali et sur cette nana, mais on ne savait pas du tout ce qu’on allait en faire, un court-métrage, voire rien (…)”

Jean-François Davy dans Le Cul entre deux chaises, 50 ans de cinéma – Movinside, 2017 – pages 123-124

Durant ce tournage, Davy interview alors longuement Claudine Beccarie, toujours plus intrigué par ce personnage haut en couleurs. Du tournage Change pas de main, naitra alors Exhibition et les Pornocrates. Le premier opus est essentiellement basé sur Claudine Beccarie, tandis que le second aborde davantage la post-production et la question du film chorale avec ses multiples interprètes.

Le cinéma-vérité

Très souvent comparé à Jean-Luc Godard de par sa vision quasi-documentaire, Jean-François Davy réalise alors Exhibition sur un coup de tête, sans scénario, ni phase de production.

“S’incrustant” sur le tournage de Vecchiali, comme il le dit lui-même, il tournera au fil des évènements se présentant à lui. Cependant, Davy tient à rétablir la vérité: Exhibition n’est pas à proprement parler un documentaire.

” (…) Exhibition n’est pas tout à fait un documentaire: il y a quand même beaucoup de scènes qui sont mises en scène (…). Dans Exhibition, il y a au moins deux scènes, de mémoire, où j’avais organisé avec Beccarie la situation (…). Il y en a une où j’ai demandé au partenaire de la coincer, de l’embarrasser, et il y en a une autre où c’est l’inverse (…) car j’avais demandé à Beccarie de jouer un personnage de castratrice, ce qu’elle a fait d’ailleurs avec plaisir;”

Jean-François Davy dans Le Cul entre deux chaises, 50 ans de cinéma – Movinside, 2017 – page 122.
Les acteurs de Change pas de main avec Claudine Beccarie à droite.

Sous une bonne étoile

Tandis qu’Exhibition se construit au jour le jour, la chance va sourire à Davy. Premièrement, il profitera de l’abolition de la censure par Giscard au moment même où il s’apprête à passer au montage. Il pourra alors le faire sans trop mutiler son film.

Puis, alors que le film est en plein montage, Jacques Baratier, réalisateur qui travaillait dans la salle de montage voisine vient voir le film de Davy. Interloqué par son contenu, il en parle à Shula Siegried qui était l’attachée de presse de la Quinzaine des réalisateurs à l’époque. Celle-ci, malgré son manque d’intérêt pour le genre, demande à visionner à son tour le film avec la commission de sélection. Contre toute attente, le film est retenu. Il sera présenté à la Quinzaine de Cannes !

“Alors là, je me suis dit qu’il était en train de se passer quelque chose. Je tourne par hasard ce film, je suis en train de le monter, Giscard abolit la censure, on me demande de le présenter pour la sélection à Cannes, il est sélectionné… Il est en train de se passer quelque chose qui m’échappe.

Jean-François Davy dans Le Cul entre deux chaises, 50 ans de cinéma – Movinside, 2017 – page 128.

Suite à cette nouvelle, le film aura une très bonne distribution et n’aura finalement pas vraiment besoin de faire de la publicité outre mesure. Exhibition réunira 3 millions et demi de spectateurs avant d’être prématurément retiré de l’affiche. La cause ? L’arrivée imminente de la loi dévastatrice du X.

Pour l’anecdote, le film fut classé Art et Essai à sa sortie, puis ixé (il sera d’ailleurs le premier film classé X), puis reclassé Art et Essai quelques années plus tard !

Pour couronner l’histoire d’Exhibition, il sera le premier film érotique diffusé à la télévision française dans le programme du samedi soir de Canal +.

Beccarie, superstar

Avant Exhibition, Claudine Beccarie était déjà connue du public sans le savoir: effectivement, son corps, fragmenté dans bon nombres de films servait de doublure sexe aux actrices les plus frileuses. Heureusement pour elle, elle connut un avant et un après Exhibition.

Le film remporta l’énorme succès qu’on lui connaît, et le public retiendra surtout une scène: la longue séquence dans laquelle elle se masturbe. Elle devient alors la première grande star française du cinéma érotique. Se livrant corps et âme à Davy, elle est incroyable de vérité, n’hésitant pas à parler de son enfance malheureuse et même de présenter sa mère à la caméra.

Des années plus tard, Davy réalisa Exhibition 79 dans lequel il filme une nouvelle fois sa muse dans son quotidien post-porno. À savoir que la fin d’Exhibition (version restaurée) dans laquelle on découvre Beccarie vivant seule avec ses enfants à la ferme, est tirée d’Exhibition 79 et rajoutée après coup…

J’espère que cet article vous a plu; à bientôt sur cinéma érotique 🍑