“Je me sens coupable, mais je ne le regrette pas. Vous savez, pour faire des films, parfois, pour obtenir un certain résultat… je pense qu’il faut être totalement libre. Je ne voulais pas que Maria joue l’humiliation, la rage. Je voulais que Maria ressente, pas qu’elle joue, la rage et l’humiliation. Elle m’a haï toute sa vie pour ça.»
Bernardo Bertolucci, à la presse lorsqu’une journaliste lui demande s’il regrette la scène scandaleuse.
Le Dernier tango à Paris ou l’histoire d’un film dont le scandale a largement surpassé l’histoire elle-même. Tel pourrait être le titre de cet article.
Nous sommes en 1972 quand Bernardo Bertolucci réalise son septième film. À l’écran, Marlon Brando incarne Paul, un américain approchant la cinquantaine et traversant une crise existentielle. Face à lui, Maria Schneider, 19 ans à l’époque, joue Jeanne, décrochant alors son premier grand rôle au cinéma. Ces deux personnages, se rencontrent lors de la visite d’un appartement qui abritera par la suite leurs ébats, sans vraiment se connaître l’un l’autre.

Un public outré
Le film sort sur les écrans en France avec une interdiction aux moins de 18 ans. En Italie, pays d’origine du cinéaste, la peine est plus lourde, puisque le film est tout bonnement interdit; la cour d’appel de Bologne ordonnant même la destruction du négatif et des copies du film (un destin digne de l’Essayeuse). Il faudra attendre 1988 pour que le public italien puisse à nouveau visionner l’objet du scandale. Pire encore, Bertolucci sera condamné à deux mois d’emprisonnement pour attentat à la pudeur… Dans le reste de l’Europe, le film ne passe pas non plus inaperçu. Il est dans la plupart des pays classé X et de nombreuses plaintes arrivent jusque dans les bureaux des présidents et autres commissions.
“Monsieur le président, Je suis très étonnée que la censure ait laissé passer Le Dernier tango à Paris. Ce film est le comble de la bestialité et de la violence et cette femme est vraiment la femme-objet dans toute son horreur. Si la censure laisse passer de tels films à quoi sert-elle ?
Lettre de Mme D.C au président, le 31/01/1973.
Histoire d’un scandale
Mais ce qui marquera ici l’histoire du cinéma n’est pas vraiment la réception du film puisque des films érotiques faisant scandale à l’époque, c’est finalement commun durant les années 1970. Ce n’est pas non plus le sujet du film ni son traitement. Certes, le film est une réussite en terme de scénario et de mise en scène, c’est un beau film d’auteur, mais ce n’est pas non plus pour cette raison que le film rentrera dans les livres d’histoires du cinéma ou dans la presse people, faisant couler de l’encre aujourd’hui encore..
Non, le scandale se résume à une scène: la scène dite de “la sodomie et du beurre”.
“La scène que vous venez de voir, la “scène du beurre” est une idée que nous avons eue avec Marlon le matin même du tournage. Le scénario indiquait qu’il devait la violer, d’une certaine manière… Et nous étions en train de prendre le petit-déjeuner avec Marlon sur le sol de l’appartement où nous tournions. Et il y avait une baguette et du beurre… et nous nous sommes regardés et, sans dire un mot, nous avons compris ce que nous voulions. Mais, d’une certaine manière, j’ai été horrible envers Maria parce que je ne lui ai pas expliqué ce qui allait se passer. Je voulais qu’elle réagisse en fille, pas en actrice. Je voulais qu’elle se sente humiliée, que si ça continue, elle crie “Non, non!”. Et je pense qu’elle nous a haïs, moi et Marlon, parce qu’on ne l’avait pas prévenue. Et il y avait ce détail du beurre utilisé comme lubrifiant… et je m’en veux encore beaucoup pour ça.“
Bernardo Bertolucci lors d’un évènement à la Cinémathèque française, en 2013.

Dans cette séquence, Paul viole Jeanne. Mais ce qui n’était pas écrit dans le scénario, c’est la manière dont les choses allaient se dérouler. Comme l’explique le réalisateur, il eut l’idée du beurre en guise de lubrifiant le matin même. Il mit alors Marlon Brando dans la confidence et, pour un souci de réalisme, il “omit” de prévenir l’actrice du déroulement de la scène, qui subit réellement l’agression.
“Cette scène n’était pas dans le scénario original. Ils me l’ont dit juste avant qu’on filme cette scène et j’étais révoltée. J’aurais dû appeler mon agent ou faire venir mon avocat sur le tournage car on ne peut pas forcer quelqu’un a faire quelque chose qui n’est pas dans le scénario, mais à l’époque, je ne savais pas. Marlon m’a dit: ‘Maria, ne t’en fait pas, c’est juste un film’. Mais pendant la scène, même si je savais que ce que Marlon faisait n’était pas pour de vrai, mes larmes étaient vraies. (…) Je me suis sentie humiliée et pour être honnête, j’ai eu un peu l’impression d’être violée, par Marlon et Bertolucci. À la fin de la scène, Marlon n’est pas venu me consoler ou s’excuser. Heureusement, une prise a suffi.”
Maria Schneider à la presse.
Maria Schneider, figure d’un mouvement
La jeune actrice sortira traumatisée de sa première grande expérience cinématographique; et tentera d’oublier son traumatisme dans la consommation de drogues. Aujourd’hui disparue et 48 ans après sa sortie, le film fait toujours parler de lui.
Plus récemment, Maria Schneider devint la figure de proue du mouvement Metoo popularisé avec l’affaire Weinstein; dénonçant les abus pouvant avoir lieu à l’encontre des femmes dans le milieu du cinéma.
Ainsi, du Dernier Tango à Paris, le monde retiendra moins l’esthétique pourtant très maîtrisée façon seventies ou la prestation incroyable du duo principal; que le scandale qui reste aujourd’hui encore, l’un des plus grands que le cinéma ai connu.
Autrice – couteau suisse, j’écris pour le cinéma, la bande-dessinée et la littérature autour (toujours) du cinéma érotique et pornographique.
Grande défenseure d’un genre encore trop peu (re)connu, cinema-erotique tente de rendre ses faits d’armes au cinéma (oui oui !) érotico-pornographique, en revenant sur son (incroyable) Histoire, ses succès et les personnages qui y ont contribué.
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