Si je vous dis La Femme-Objet, Luxure, Exhibition 79 ou encore L’Essayeuse, vous me dites ? Bon, alors si maintenant je vous dis Queue de Béton, pseudo aux allures de nom de code que lui attribue un journaliste, un jour qu’il découvre l’acteur en plein ébat, en plein tournage ?
Vous avez devinez, il s’agit évidemment de Richard Allan !
Les Prémices
Avec son légendaire franc-parler et sa moustache façon Harry Reems, Richard Allan cumule autant de casquettes que de conquêtes: acteur pornographique tout court (car à l’époque on joue encore), producteur, diffuseur, écrivain et maintenant artisan-chocolatier en Normandie (maman, papa, dédicace !).
Véritable autodidacte, Richard s’offre dès son plus jeune âge un projecteur afin de nourrir sa cinéphilie dans les meilleures conditions. À cette époque, il travaille dans l’import-export et se trouve encore à des années-lumières de l’industrie pornographique. Celle-ci se limite alors aux quelques projections privées que ses collègues de la douane lui demandent d’organiser afin de visionner les fruits de leurs saisies: quelques films explicites en 8 et 16mm.
Le reste, ce n’est qu’une histoire de rencontres, comme Richard Allan aime à le répéter.

Richard n’a jamais eu de tabou. Pour lui, la sexualité est un vaste et sain terrain de jeu. Et il s’amuse. Beaucoup. Nous sommes au début des années 70, Richard a tout juste la trentaine et organise fréquemment des parties “plurielles” réunissant au coeur de ces soirées orgiaques, les grands protagonistes de la scène érotique dont Sylvia Bourdon (alias la Papesse de la Partouze). Celle dont Jean-François Davy dressera le portrait dans Exhibition II (1978) peuple déjà bon nombre de plateaux de tournages pornographiques. Et ce soir-là, elle n’a d’yeux que pour Richard qui, déguisé en curé n’a de cesse de passer d’une partenaire à une autre, sans sourciller.
La méthode Allan
C’est en 1973 que Sylvia Bourdon l’embarque pour un premier roman-photo pornographique, une première expérience marquante pour Richard.
“J’ai réalisé qu’un plateau de tournage privait des sensations propres à la sexualité: l’attirance physique n’est plus nécessaire, tout comme le jeu de séduction. Au milieu des techniciens et des directives du réalisateur, l’échange de regards, l’attention accordée aux odeurs et au corps de l’autre n’ont plus leur place. On parle alors de performance.”
Ce jour-là, Richard ne parvient pas à relever le challenge et est doublé pour les scènes de pénétration. Tandis que ce premier échec aurait pu marquer la fin d’une courte carrière, Richard préfère en tirer une leçon. SA leçon.
“J’étais assis devant l’émission La tête et les jambes présentée à l’époque par Pierre Bellemare, lorsque j’ai compris. De la même manière que les candidats de cette émission devaient dissocier leur corps de leur esprit, il fallait parvenir à faire la même dissociation sur le plateau de tournage. J’ai alors commencé à m’entraîner”.
Suivront d’autres romans-photos durant lesquels Richard met en pratique sa propre méthode de travail. Puis, de nouvelles rencontres l’amène cette fois-ci vers l’univers des tournages. Les plus importantes selon lui seront celles avec le producteur et distributeur Francis Mischkind et le réalisateur Lucien Hustaix (scénariste et réalisateur) pour lequel il tournera fréquemment, notamment en tant que doublure dans Les Jouisseuses (1974), film dans lequel Richard s’illustre dans la première éjaculation faciale à l’écran ! C’est ce qu’on appelle une belle revanche.

Ainsi naît Queue de Béton
Ayant déjà fait ses preuves, Richard Allan enchaîne rapidement les tournages avec les plus grands: Jean-François Davy, Burd Tranbaree (alias Claude Bernard Aubert et avec qui Richard collabore assidument au fil des années), Alain Payet (alias John Love), Frédéric Lansac ou encore Max Pécas… et les plus grandes: Claudine Beccarie, Marilyn Jess, Brigitte Lahaye et Béatrice Harnois pour ne citer qu’elles.
Par ailleurs, au-delà de ses propres performances physiques, Richard possède quelques atouts qui l’aideront à s’inscrire définitivement dans le paysage du cinéma pornographique: un oeil aiguisé sur le milieu et un carnet d’adresses bien garni datant de son passé d’organisateur de parties fines. Ainsi, pendant un temps Richard mettra en relation les producteurs avec les propriétaires de résidences pouvant offrir des décors intéressants.
Tandis qu’il évolue au sein de son art, Richard Allan creuse davantage l’écart avec le monde du cinéma traditionnel, se heurtant à l’hypocrisie des acteurs “traditionnels” envers les acteurs spécialisés. Richard aime alors les affronter à grands coups de punchlines.
« On est tous les deux acteurs, on fait le même métier mais il y a une différence fondamentale entre nous. C’est qu’à un moment, dans ton rôle tu ne sais plus quoi dire alors tu vas naturellement glisser tes mains dans les poches de ton costume. La différence, c’est que moi je n’ai pas de costume. »
L’affaire L’Essayeuse

Réalisé en 1975 par Serge Korber (alias John Thomas), l’Essayeuse est l’unique film qui écopa de la plus lourde censure: la destruction par le feu de toutes les copies existantes. L’année de l’instauration de la loi X, le verdict de la chambre correctionnelle de Paris est sans appel. Pourtant, lorsque l’affaire éclate, le film est à l’époque “seulement” interdit aux moins de 18 et est déjà à l’affiche de dix salles. Il réalise même un score honorable: 68 453 entrées en 5 semaines.
Et comme si la destruction de l’objet du scandale n’était pas suffisante, la chambre correctionnelle de Paris décide de distribuer quelques amendes au passage, allant de 400 à 6000 Francs envers Serge Korber, mais aussi envers le scénariste, le producteur, la chef-monteuse, l’actrice principale ainsi que quelques techniciens !
Richard Allan qui joue dans le film n’échappe pas à la règle, et même s’il n’est pas condamné, il est tout de même convoqué au 36 Quai des Orfèvres.
Lors de notre rencontre, je demande à Richard de revenir en détail sur cette mésaventure:
“Quelques semaines après la première diffusion du film, je reçois un appel du 36. Comme les autres, j’apprends que je suis convoqué, sans plus de détails. Sur place, un policier m’interroge”.
(Cher lecteur, afin de rendre plus ludique l’échange qui va suivre, j’ai pris la liberté d’ajouter quelques didascalies dignes d’une comédie française des années 80 / ou film de cow-boy, au choix):
- Le Policier (assis nonchalamment sur son bureau): “Avez-vous participé au tournage de L’Essayeuse ?
- Richard Allan (mâchouillant un reste de clope façon cow-boy): “J’imagine que si je suis assis dans ce bureau, c’est que vous connaissez déjà la réponse”.
- Le Policier (adoptant alors une moue menaçante, les yeux plissés, la bouche pincée, bref, la totale du bad cop): “Dans ce cas, je vais être plus précis: Avez-vous participé à des scènes dites explicites ?”

Et lorsque le policier terminera l’interrogatoire en rappelant que, tout de même, près de trente-deux plaintes ont été déposées contre ce film, dont une de la part de la Ligue des aveugles, Richard Allan répondra brillamment:
« Je savais qu’il y avait une version française, une version anglaise et une version allemande, mais j’ignorais qu’il existait une version en braille ! »
Dialogue avec un mythe
Richard se souvient de cette mésaventure comme de l’un des souvenirs qu’il garde précieusement, méticuleusement rangé au côté de nombreux autres. Lorsque je lui demande quelle image il garde du cinéma pornographique américain, il cite sans hésiter une seconde Behind the Green Door (les frères Mitchell, 1972) et son émotion toute particulière devant cette comédienne, presque figurante, assise dans le public, difforme, hors norme, “un physique Fellinien”.
Richard revient aussi sur ses succès. Nombreux. Un Hot d’Or à Cannes, un Oscar en Allemagne, un Phallus d’Or d’honneur à Copenhague pour l’ensemble de sa carrière. Rien que ça.
« Je rêve d’un porno réalisé par Brian de Palma ou Ken Russel »
Durant cette rencontre, Richard se livrera à moi sans détour ni retenu sur ce qui fut sa grande carrière, quelque part entre l’import-export et la chocolaterie. Me transmettant l’amour qu’il garde intact pour l’âge d’or du cinéma pornographique à travers quelques souvenirs impérissables, sans oser à mon tour lui avouer que dans mon esprit, l’âge d’or de ce cinéma que je n’ai connu que des décennies plus tard est peuplé de Claudine Beccarie, de Jean-François Davy, de lui.

“Voici un souvenir que je garde précieusement: c’était sur le tournage de l’un de mes derniers films, quelque part en Allemagne. Nous tournions dans un château appartenant à un chef d’orchestre et celui-ci avait un clavecin ayant appartenu à Mozart. Alors chaque matin, il se posait au milieu du salon tandis que nous, acteurs et techniciens nous préparions à tourner. C’était sa manière de motiver les troupes”.
Nous sommes au début des années 80 lorsque Richard Allan met fin à sa carrière:
“C’est en tombant sur une photo parue dans Libération que j’ai décidé d’arrêter le métier. En milieu de page, une photo représentant un homme couvert de tâches noires. Le Sida arrivait en France.”
Son dernier film sera Initiation d’une femme mariée de Claude Bernard-Aubert (1983). Lors de la dernière scène de ce dernier film, Richard demande alors une faveur au cadreur, celle de cadrer son visage lors de l’éjaculation : « Ce sera le seul vrai visage que j’aurais donné au sein de ma carrière ». Mais comme tout bon opérateur de l’industrie pornographique, celui-ci préfèrera suivre les codes et cadrer en gros plan le sexe de Richard…
“Etre acteur, c’est livrer son image, sa personnalité et dans notre cas, sa sexualité.”

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Autrice – couteau suisse, j’écris pour le cinéma, la bande-dessinée et la littérature autour (toujours) du cinéma érotique et pornographique.
Grande défenseure d’un genre encore trop peu (re)connu, cinema-erotique tente de rendre ses faits d’armes au cinéma (oui oui !) érotico-pornographique, en revenant sur son (incroyable) Histoire, ses succès et les personnages qui y ont contribué.